Guido van der Wedden
Les Pays-Bas sont un pays dont la moitié du territoire est situé à un mètre en dessous du niveau de la mer. Par conséquent, sans la protection des digues et des dunes, une grande partie du pays disparaitrait sous la mer ou serait submergée par l’eau des rivières. C’est très coûteux de maintenir ce pays vivable et de le protéger contre les inondations. Les Hollandais ont-ils intentionnellement choisi de vivre sous le niveau de la mer ou est-ce qu’ils ont été tout simplement confrontés à cette situation ?
Vers l’année 1000 les Pays-Bas se présentaient comme un vaste marais traversé par des rivières. Au milieu de ces terres basses étaient dispersés des terrains tourbeux plus élevés, terres hautes sur lesquelles furent installées les premières habitations. Le terrain marécageux autour était trop humide pour l’agriculture. C’est donc à cette époque que les habitants ont commencé à creuser des fossés pour le drainage des champs et des prairies. L’assèchement des marais permit la réalisation de terres cultivables utilisables pour les habitants du pays. L’eau était évacuée par les fossés et les ruisseaux, via les rivières, vers la mer.
Le drainage des tourbières présentait néanmoins un problème : le drainage implique une aération de la tourbe, qui enclenche l’oxydation. C’est ainsi que commença un processus de pourrissement qui continue encore de nos jours : la tourbière s'affaisse par tassement, jusqu’à un centimètre par an. Au début l’approfondissement des fossés et canaux fut suffisant pour que le pays affaissé reste assez sec et cultivable. Mais le processus a continué et au fur et à mesure les terres se sont tellement tassées que les canaux sont devenus plus élevés que les rivières. Au haut Moyen Âge les Néerlandais construisaient donc leurs villages sur des tertres, élévations artificielles de terre qui fonctionnaient comme refuge en période d’inondations.
‘Tertre’ à Hegebeintum, Groningue.
Mais comme les terres s’inondaient de plus en plus, on commença aux douzième, treizième et quatorzième siècles à construire de petites digues, ce qui créa les premiers polders. Le long des rivières ces digues étaient équipées de ‘schutsluizen’, d’écluses destinées à rejeter l’eau vers la rivière à travers un barrage : quand le niveau de l’eau des rivières était bas, l’eau des canaux était évacuée. Quand la rivière montait, les portes de l’écluse étaient fermées. Pour ce système de digues et d’écluses, la collaboration était indispensable. Au treizième siècle, cette collaboration donna naissance aux premières ‘waterschappen’, administrations régionales des eaux qui s’occupent principalement de la protection contre les inondations. Après quelques siècles d’affaissement des terres, ce système d’évacuation des eaux ne suffisait plus. Le pays baissait de plus en plus et les écluses ne pouvaient plus fonctionner. Les habitants de la Hollande et de la Frise cherchèrent alors une méthode efficace pour évacuer l’eau et ils la trouvèrent : le moulin à vent. Les moulins pouvaient élever de l'eau à des hauteurs d’un mètre et demie. Les premiers moulins furent construits au quatorzième siècle, et au quinzième et seizième siècles il y en avaient déjà un grand nombre. Ces moulins qui drainaient les polders d’une manière efficace devinrent le symbole des Pays-Bas.
Aux dix-septième et dix-huitième siècles les Hollandais découvrirent qu’on pouvait utiliser la tourbe comme combustible dans l’industrie textile et pour la fabrication de la bière. Des briquettes de terre furent tourbées, séchées et vendues comme combustible. A cause de cela le niveau des terres a continué à baisser et de grands lacs se sont formés à l’intérieur du pays. Ces lacs menaçaient les terres tout autour. En plus, les terres restantes baissaient de plus en plus. Comme les moulins ne pouvaient élever de l'eau à des hauteurs d’un mètre et demie et que cela n’était plus suffisant, on construisit parfois des rangées de moulins pour drainer le pays, comme à Leidschendam.
Rangée de moulins à Leidschendam (photo Jan Jaarsma)
Mais comme les terres continuaient encore à s’affaisser, les moulins n’étaient plus satisfaisants. L’invention de la pompe à vapeur arriva juste à temps pour sauver les Pays-Bas : au dix-huitième siècle sont apparues les premières pompes d’épuisement à vapeur. Progressivement tous les moulins furent remplacés par des stations d’épuisement pour évacuer les eaux par pompage vers la mer. Elles avaient même assez de capacité pour dessécher les grands lacs, comme le Haarlemmermeer : c’est sur le sol de ce lac que se trouve aujourd’hui l’aéroport de Schiphol. Au milieu du vingtième siècle les pompes d’épuisement à vapeur furent remplacées par des stations de relevage diesel et plus tard électriques. L’histoire est encore visible de nos jours : on peut trouver beaucoup de restes de moulins côte à côte avec une pompe d’épuisement à vapeur périmée et une station d’épuisement moderne.
Moulin côte à côte avec une station d’épuisement à Schellinkhout (photo : wikipedia)
Le problème de l’affaissement des terres suite à l’aération de la tourbe n’est pas encore résolu de nos jours. Les parties les plus basses des Pays-Bas se trouvent à plusieurs mètres sous le niveau de la mer. Le polder le plus bas est le Zuidplaspolder près de Nieuwerkerk aan den IJssel qui est à 7 mètres sous le niveau de la mer. Une expression Néerlandaise dit « Het is pompen of verzuipen », cela veut dire « Il faut pomper ou se noyer ». Les Néerlandais doivent continuer à pomper pour garder les pieds secs…
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Voyez aussi mon article sur les administrations d'eaux.
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